LUMINARIUM
mosaïque de vingt-sept fragments de musiques du Monde
concerto pour clarinette et orchestre
(2002)
Mouvements :
- I
- II
- III
- IV
- V
- VI
- VII
- VIII
- IX
Durée : 30'
Commande de Henry Selmer-Paris.
Grand Prix et Prix du Public du Concours Alexandre Tansman en 2006.
Effectif : clarinette en Si bémol solo, 1 Grande flûte (muta piccolo), 1 Hautbois, 1 Clarinette si bémol (muta flûte à coulisse), 1 Basson, 1 Cor en Fa, 1 Percussions, Cordes (minimum 4-4-4-3-2)
Percussions en détail: Grosse caisse, Bongo, 2 Congas (aigu, médium), Caisse claire, Tom-tom (médium), Tam-tam (petit), High-hat, Cloche à tube Si bémol aigu (joué avec un petit marteau métallique), Grelots, Wood-block, Crécelle, Maracas, Wood-chimes
Création : Michel Lethiec et l’Orchestre Poitou-Charentes au Festival de Sully-sur-Loire en juin 2002
Éditeur : Les Éditions Henry Lemoine affichent des informations sur cette œuvre sur
http://www.henry-lemoine.com/fr/catalogue/compositeur/maratka-krystof
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Éditions Henry Lemoine - Paris
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Éditions Jobert
Éditions Henry Lemoine - Paris
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Enregistrement :
Extrait de partition :
Notes sur l’oeuvre :
Luminarium, concerto pour clarinette et orchestre, se présente comme un kaléidoscope d’harmonies et de sons venus du monde entier, une sorte de brève anthologie qui trouve son inspiration dans des expressions musicales de diverses régions de la Terre.
Plutôt que le développement d’un seul récit, le concerto paraît à l’image d’un documentaire qui propose d’observer une fascinante diversité de multiples langages musicaux. Neuf mouvements portent l’architecture de la pièce, divisés chacun en trois parties, soit vingt sept fragments qui s’inspirent de vingt sept pays différents.
Cette synthèse crée un univers sonore mouvant, véhiculé par la clarinette, qui, lors de son parcours, « illumine » diverses faces du globe comme l’évoque le titre de l’œuvre.
I Bua’ (Indonésie), rite du soleil levant
Kouchnaï (Ouzbékistan), improvisation
Guègues (Albanie), chant funèbre
II Sitot me soi (France), chant troubadour
Madrosh (Syrie), chant liturgique
Nô (Japon), interjections du thêatre Nô
III Beranca (Macédoine), danse
Ngapa (Australie), cérémonie du Rêve de la pluie
Nira (Maroc), improvisation
IV Hat chèo (Viêtnam), chant du sorcier du thêatre hat chèo
Maôme (Îles Salomon), cycle funèbre
Chinos (Chili), chant des alféreces
V Rdo-rje’jigs-byed dbang (Tibet), psalmodie boudhique
Doudka (Biélorussie), improvisation
Pane (Bohème), chant liturgique
VI Mané igini kamu (Papouasie-Nouvelle Guinée), chant pour laver un enfant
Nipaquhiit (Arctique), jeux vocaux
Âvâz (Iran), chant persan
VII Skutchna (Yiddish), danse juive
Czardas (Moldavie), danse
Sousta (Grèce), danse
VIII Pasi but but (Taïwan), chant de prière pour une récolte abondante du millet
Ghau kilori (Mélanésie), orgue éolien pour l’immersion d’un cadavre dans la mer
Leiskis leiskis saulela (Lituanie) , chanson des moissons
IX Tioudiouk (Turkménistan), improvisation
Sampatye (Sénégal), chant des jeunes filles initiées
Xwââxâ (Nouvelle Calédonie), discours rituel
Luminarium est à coup sûr l’une des conceptions les plus originales de la musique récente. Mařatka estime à juste titre que le langage musical d’une œuvre donnée est avant tout déterminée par son matériau. Dans le cas présent, il s’agit de musiques traditionnelles de vingt-sept pays différents du monde entier, mais une fois de plus il s’agit d’un voyage de rêve, puisque le compositeur trouva toutes ses sources dans des enregistrements. De plus, la succession des pièces ne suit aucune réalité d’ordre physique ou géographique, mais seulement une logique musicale. Maratka cite son matériau presque sans aucune modification, et insiste même qu’il n’a pas agi en compositeur, puisque ce matériau n’est pas le sien. Il est facile de répondre que le travail du compositeur est au contraire la mise en œuvre d’un matériau, quels qu’en soient l’origine ou l’auteur, et qu’en ce sens il est indubitablement le compositeur de Luminarium. L’orchestre se compose d’un quintette à vent, de percussions et de cordes en formation de chambre. Les vingt-sept vignettes sont groupées par trois en neuf mouvements, dont chacun présente une unité et un contraste avec ses voisins. Le N° 4 (II/1), basé sur un vieux chant de troubadour, semblerait à première vue constituer une exception en nous invitant à un voyage dans le temps (passé) et non l’espace, mais la musique populaire ou traditionnelle est intemporelle par elle-même. Du moins, n’étant pas écrite, nous ne pouvons juger si elle sonnait différemment dans le passé, et c’est là un paradoxe : une musique fixée par l’écriture devient une « œuvre » appartenant à son compositeur et introduisant cette notion de « progrès » en art qui est devenue l’essence même de la culture occidentale (européenne), tandis que la musique transmise par tradition orale seulement (et même si certaines civilisations, comme l’Inde, possèdent un système de notation, encore qu’il ne soit utilisé que pour des traités théoriques) demeure fondamentalement inchangée. Ou du moins jusqu’à ce que les moyens de communication moderne l’exposent à des influences extérieures menaçant de détruire son originalité. En écoutant Luminarium, la plupart des auditeurs d’éducation et de culture occidentales ressentiront forcément que le matériau dérivant de sources européennes est beaucoup moins « altéré » par le traitement auquel le soumet Maratka, et donc beaucoup plus familier. Mais le compositeur objecte non sans raison qu’un auditeur de Mélanésie ou du Vietnam pourrait avoir une réaction tout à l’opposé, la mise en œuvre d’instruments « occidentaux » jouant évidemment un rôle important dans notre perception de la musique. Voici à présent un bref survol des neuf groupes de trois pièces, ce qui fera apparaître certaines relations croisées entre pièces de groupes différents, ne serait-ce que pour des raisons de proximité géographique. Le premier groupe commence par Bua’, le rite indonésien du soleil levant, la ligne vocale d’origine, richement ornée, étant basée sur une échelle de seulement trois hauteurs voisines (avec quelques glissandi), l’orchestre demeurant au second plan en faisant entendre des unissons hétérophoniques. Vient ensuite Kouchnaï, improvisation rapide sur un instrument à anche d’Ouzbékistan, aigu et perçant, très « orientale » par ses intervalles mélodiques. Après ces deux monodies ornées, et appartenant toujours au monde islamique, voici un chant funèbre d’Albanie d’origine guègue, l’une des nombreuses ethnies de ce petit pays si riche en traditions superposées, depuis le substrat remontant à le Grèce archaïque (Pélasgès, Illyriens) jusqu’aux apports plus récents de l’Islam, dus à l’occupation turque. Il s’agit de lamentations chorales, à mi-chemin du chant et du cri ou du pleur, aboutissant à des sonorités opaques proches du cluster. Exceptionnellement, les brèves interpolations de la clarinette ont été librement ajoutées par le compositeur. Le deuxième groupe s’ouvre sur Sitot me soit, un chant de troubadour du XIIème siècle, la plainte d’une femme trahie dans son amour, monodie modale mineure reposant sur un très médieval bourdon de quarte, avec certains ornements chromatiques et même quelques micro-intervalles nous rappelons que l’influence arabe fut importante chez les Troubadours. Madrosh est un chant liturgique d’un couvent de femmes de Syrie, unisson purement modal révélant certaines traces d’inffluences byzantines (ici, c’est donc l’Occident chrétien qui influence l’Orient islamique !). Et ce groupe se termine par le contraste le plus violent qu’on puisse imaginer, emprunté au théâtre Nô japonais, transcription de violentes vociférations mi-parlées, très dissonantes et évidemment non-tempérées, ponctuées par les cris perçants de la petite flûte Shakuhachi et par de brutales percussions. Les trois pièces du troisième groupe forment un brillant et très rythmique Scherzo, commençant par Beranca, danse animée de Macédoine, basée sur l’échelle lydienne (avec quarte augmentée) également typique de la musique roumaine (il existe en Macédoine une communauté roumaine, les Aroumains). L’original faisant déjà appel à la clarinette et au violon. La cérémonie du Rêve de la Pluie (Ngapa), très typique des Aborigènes d’Australie, est une étrange invocation en murmures graves très rapides, presque parlés, que Maratka a inscrite dasn un très suggestif environnement de polyphonie « naturelle » : bruits végétaux aux violons, scansions parlées aux violoncelles, battues obsédantes de la grosse caisse. Cette partie se termine par l’un des morceaux les plus brillants et les plus colorés de l’œuvre, Nira, une improvisation rapide marocaine, superposant à nouveau différentes couches sonores. Le quatrième groupe commence par le contraste total de l’invocation purement pentaphone du sorcier de théâtre vietnamien, Hat Tchéo, accompagnée par l’équivalent d’instruments à cordes locaux, à archet (Dan Nhi) ou à cordes pincées (Tranh, Ty Ba). Des Iles Salomon nous vient le cycle funèbre Maomé, rappelant les murmures en parlando très rapide d’Australie, mais en utilisant une échelle de trois sons comme l’Indonésie. Les Chinos sont des porte-étendards chiliens, dont la procession dans les montagnes est scandée par une succession de cris d’une cacophonie rappelant des clusters, car ignorant parfaitement tout système de hauteurs. Le compositeur a ajouté ici une partie de clarinette de son cru. Le cinquième groupe constitue le cœur mystique et immobile de l’œuvre, le premier de ses deux « mouvements lents » (avant le huitième groupe). Rdo-rje’ jigs-byed dbang, c’est une psalmodie bouddhique du Tibet, rituel grandiose souligné par les résonances profondes des trompes. La musique des hautes montagnes est toujours lente, majestueuse et puissante, faite d’appels d’un sommet à l’autre (même en Suisse, avec les cors des Alpes !), et ici la musique ne peut manquer d’évoquer les grandes pages orchestrales de Giancinto Scelsi, dont le Tibet fut une ssource d’inspiration essentielle. La pièce toute entière est basée sur les multiples du nombre sacré trois (les clochettes de temple font entendre successivement neuf, dix-huit et vingt-sept coups). La clarinette est ici fondue dans le tutti, dont la puissance sonore est stupéfiante, au regard de la modicité de l’effectif orchestral. Un autre espace, celui d’une plaine infinie, est évoqué par la Dudka de Biélorussie, poignante mélodie modale aux franges du silence, cœur secret de la partition. La clarinette demeure silencieuse durant le bref Choral médiéval de Bohême (Pane), joué très lentement et pianissimo par les cordes col legno, donnant un effet de lointain. Par contraste, le sixième groupe possède le caractère d’une cadence pour le soliste. Mané igini kamu (Papouasie-Nouvelle Guinée) est le chant très rapide mais tendre murmuré par une mère lavant son enfant, le compositeur variant l’échelle de trois sons par des décrochements d’octaves, Nipaquhiit, également non-accompagné, est un exemple des jeux vocaux extraordinaires de Inuit du Canada, ces joutes où deux chanteurs (ou chanteuses) se font face de près, essayant de désarçonner l’autre par tous les moyens, y compris le rire. Puis nous revenons au Moyen-Orient musulman, avec Avâz, où une femme iranienne chante de manière volubile et parfois joue d’une petite flûte. Ici, Mařatka fait rentrer discrètement l’orchestre. Le septième groupe est un deuxième Scherzo enchaînant trois danses d’Europe orientale, et ici tant la musique que sa recomposition deviennent soudain très familières, que ce soit dans Skutchna, pièce de musique juive Klezmer animée et truculente, dans une tourbillonnante Czardas de Moldavie audiblement consanguine, ou dans la Souste grecque, plus nettement orientale et mélodiquement ornée; Ici, le matériau d’origine faisant déjà appel à la clarinette. Le huitième groupe est un deuxième point de repos entre le Scherzo précédent et le brillant Finale. Il commence par la pièce peut-être la plus belle de toute, Pasi but but, chant de prière de Taïwan pour une récolte abondante de millet, magnifique superposition de denses couches microtonales (l’original est chanté par des voix d’hommes), et après que le Tibet nous ait fait penser à Scelsi, ici, c’est le plus grand Ligeti qui rappelle Maratka, sans perdre jamais sa propre personnalité reconnaissable entre toutes. Ghau Kilori n’est pas moins étonnant : un rituel mélanésien d’imersion d’un cadavre aux sons d’un orgue éolien de bambous que le vent fait doucement chanter. L’instrumentation de Maratka y atteint des sommets de délicat raffinement. Un chant de moisson de Lithuanie, Leiskis, leiskis, saulela, brève mélopée modale, nous rappelle la proximité géographique de la Biélorussie (cœur du cinquième groupe). Tout est prêt pour la fête finale. Ce neuvième groupe commence par les sons âpres et aigus du Tioudouk, instrument à anche du Turkménistan, dans une improvisation rythmée et rapide sur une échelle orientale rappelant celles de l’Ouzbékistan et de l’Iran voisins, mais se distinguant de cette dernière par un deuxième degré « impur », ni majeur, ni mineur. Sampatye est le chant rituel de jeunes filles sénégalaises initiées à l’épreuve cruelle de l’excision. C’est une pièce colorée et très riche, pas tellement éloignée de celle qui évoquait le Maroc, relativement voisin sur la carte. La clarinette et le violon solo jouent en hétérophonie, soutenus par une percussion somptueuse; Et notre tour du monde « dans un fauteuil » se termine en Nouvelle Calédonie avec Xwââxâ, discours rituel devenu ici un étincelant déploiement de virtuosité, servant utilement à nous rappeler que ceci est avant tout un vrai Concerto, qui devrait attirer bien des interprètes.