PRAHARPHONA SEXTET
musique de l’ancienne et de la nouvelle Prague
pour harpe solo, quatuor à cordes et percussions
(2009)
Mouvements :
- I
- II
- III
- IV
- V
- VI
- VII
-VIII
Une sélection de mouvements au choix est possible, mais l'exécution de l'oeuvre dans son intégralité est préférable. La présence d'un chef d'orchestre est conseillée.
Version originale : Praharphona, concerto pour harpe solo et orchestre (2009)
Durée : 25'
Commande de l’Ensemble Calliopée (version sextuor).
Effectif : harpe solo, quatuor à cordes et percussions (1 musicien)
Percussions en détail : cloches de tube tout le jeu, tam-tam médium, tom-tom grave, caisse claire, wood-block, cymbale suspendue, washboard, fouet, castagnettes, métal-chimes, grelots, maracas, sand-block, chaîne, crécelle, 2 galets (ca. 20 cm), vibraslap, flûte à coulisse (ca. 30 cm), petite harmonica à bouche en UT
Création : Sandrine Chatron (harpe solo), Ensemble Calliopée, Kryštof Mařatka (direction), 2009, Conservatoire de Paris
Éditeur : Les Éditions Henry Lemoine affichent des informations sur cette œuvre sur
http://www.henry-lemoine.com/fr/compositeurs/fiche/krystof-maratka
Pour plus d'information contacter :
Éditions Henry Lemoine - Paris
Mme Laurence Fauvet - Location et achat des partitions
orchestre@editions-lemoine.fr / +33 (0)1 56 68 86 75
Éditions Jobert
Éditions Henry Lemoine - Paris
Mr. Benoît Walther - Service promotion, diffusion
bwalther@editions-lemoine.fr / +33(0)1 56 68 86 74
Éditions Jobert
Enregistrement :
Extrait de partition :
Notes sur l’oeuvre :
Praharphona s’inspire de la ville de Prague. Encadrées par huit mouvements, maintes séquences reflètent divers phénomènes, situations, images et allusions sans aucune logique narrative, mais toujours étroitement liés à ce lieu. Ce sont de simples dédicaces.
Mouvements (en calligramme) :
- ^C (Lune au-dessus de la cathédrale St. Guy)
- +-)()cc_IL/)-vH_-=¨*L »(v, (ruelles, passages, recoins)
O.=72 (rythme des choses)
knihy (livres, langue, savoir)
- 18h15C# (cloche du soir)
lLLaAbiiyRrinnnTtT (exils)
^ = v (ville juive)
!!? (petitesse)
IIIIIIIIIIIII (consommation, marché, argent)
- most (pont, d’une rive à l’autre)
1348 (l’Université Charles)
TO RISK OFFICE (ne pas se vendre)
2+2=5 (démagogie, totalitarisme, manipulation)
- ...noc, sníh... (froid de la neige de minuit)
- O (racines, famille)
‘o-o’ (astronomes)
d d d d e c c e (Hussites, interprétation de l’histoire)
meloG (alchimie, légendes)
Pàd¨: (chute, défenestrations)
^^^^^^^^^ (fleuve, inondations)
- pru˚cˇelí (façades, architecture)
p,lA,mM,eny (flammes)
- fff-_’’ssss§§t..., (vent dans les cimes des arbres)
NE----p-o muk (recatholicisation)
srpen (août, fraîcheur du soir)
K. (Kafka)
xx (inconnus éclairés)
€voluce (appartenance)
U kocoura (À l’enseigne du Chat, auberges, gargotes)
/ / / / / / / / / / / / / (13 bières)
En avril 2008, Kryštof Mařatka a reçu la commande d’un Concerto pour harpe de l’orchestre Philharmonique de Kiel (Allemagne). L’idée venait de la harpiste tchèque Jana Boušková qui créa la pièce en version complète à Kiel en octobre 2010.
Mais le besoin se faisait sentir d’une version pour un plus petit effectif permettant des exécutions plus fréquentes, et ainsi naquit une version de chambre pour harpe, quatuor à cordes et percussions.
Par sa structure formelle, ces proportions et son orchestration d’origine, l’œuvre rappelle l’une des pages de Mařatka les plus fréquemment jouées, le concerto pour clarinette Luminarium, dont les 27 sections sont regroupées en 9 mouvements. Là, le « scénario » était d’ordre géographique, faisant appel à des musiques traditionnelles d’autant de pays du monde entier. Dans Praharphona sextet, ce voyage dans l’espace est remplacé par un voyage dans le temps, ainsi que l’indique le sous-titre « musique de la vieille et de la nouvelle Prague ». Et les jalons servant de guide aux huit mouvements de dimensions très variables sont ici des calligrammes. Il s’agit davantage d’un code secret, de point de départ du compositeur pour un voyage imaginaire à Prague à travers la mémoire de l’espace et du temps de la Cité dorée.
Dans le deuxième mouvement, on remarquera que O. = 72 (« le rythme des choses ») est à la fois le rythme métronomique normal du cœur humain…et l'année de naissance du compositeur !…
Dans le troisième mouvement, les lettres du mot « labyrinthe » sont dispersées dans l’esprit des exilées. Le graphique ^=v représentant la ville juive pourrait rappeler que l’hébreu se lit de droite à gauche et que les aiguilles de l’horloge de la Vieille Synagogue tournent « à l’envers ». Dans la version avec orchestre de cette typique danse juive, la clarinette joue dans le style klezmer. L’exclamation (silencieuse) « !!? », à la fois stupéfaction et incompréhension, symbolise la petitesse d’esprit (malédiction qui trop souvent réfrène chez les Tchèques de nécessaires révoltes) comme le familier « code-barres » présent sur tout objet qu’on achète représente la société de consommation régie par la loi du Marché. C’est une toccata évoquant peut-être le rythme incessant des caisses enregistreuses.
Dans le quatrième mouvement, la traversée du familier Pont Charles fait penser à l’Université portant le même nom, la plus ancienne d’Europe centrale, antérieure de seize ans à celle de Leipzig. Et si ce rapprochement évoque dangereusement une visite touristique, le jeu de mots suivant nous en avertit, même si ses slogans sont inoffensifs. Sous le régime communiste, la seule et unique agence touristique (Čedok) était bien sûr régie par l’État, d’où un rappel des dogmes absurdes de la dictature, martelés au rythme obtus du pas de l’oie. Mařatka vécut cela jusqu’à l’age de 18 ans et les traces en lui demeurent indélébiles.
Comme le Prélude du début, le cinquième mouvement est un interlude bref et statique, un temps de repos et de solitude nocturne légèrement inquiétante.
Dans le sixième mouvement, les allusions aux instruments extra-européens s’entendent davantage dans la version orchestrale. Un cercle symbolise la famille, donc les racines et la musique revêt un aspect passagèrement plus lié à la tradition. Puis, une paire de lunettes représente l’astronomie, très bref épisode tourbillonnant à une vitesse vertigineuse. Les notes « ré ré ré ré mi do do mi » seront familières à tout mélomane comme les premières du célèbre hymne des Hussites « Vous qui êtes les guerriers de Dieu », telles qu’on les trouve dans les deux derniers volets (Tábor et Blanik) du cycle de Smetana Ma Patrie, dans l’Ouverture Hussite de Dvořák et dans bien d’autres classiques de la musique tchèque. Un peu plus tard dans l’histoire, nous atteignons le règne de l’Empereur Rudolphe, l’âge légendaire des alchimistes. Lisez meloG de droite à gauche à la manière hébraïque et vous trouverez le fameux Golem de Prague, créé par le Rabbin Löw. Pad veut dire chute, un rappel des fatales défenestrations (parmi bien d’autres) du haut du Château de Prague, la dernière datant de 1948 lorsque Jan Masaryk fut « suicidé » par les communistes, et sa mémoire rapidement engloutie par les flots.
Au début du septième mouvement, une splendide succession de sept accords représentent les nobles façades des maisons de Prague, et les flammes font bien sûr allusion au suicide sacrificiel de Jan Palach après l’occupation soviétique de 1968 mais également aux flammes de Jan Hus et du Théâtre National de Prague qui brûla si vite après son inauguration. Là, le compositeur demande à la harpiste d’insérer des feuilles de papier entre les cordes afin de suggérer des crépitements. Le triste chant du second violon résonne à la manière d’un cantus firmus. Le sacrifice accompli demeure seul, s’élevant vers l’infini inaudible d’un Si bémol suraigu.
Dans le huitième mouvement, Nepomuk fait allusion au saint symbolisant le retour forcé au catholicisme imposé au peuple tchèque par les Habsbourg après la défaite de la Montagne Blanche, marquant le début de longues ténèbres (Temna). Les plus récentes, sous le joug communiste, furent bien plus terribles mais heureusement beaucoup plus courtes… « XX », ce sont les « inconnus éclairés » tant Pragois qu’étrangers dont la présence a toujours enrichi la vie de cette cité hospitalière, à ne pas confondre avec les hordes des touristes qui l’envahissent de nos jours. Le mot « évolution » est intentionnellement écrit avec le simple € représentant la monnaie européenne, symbolisant la place retrouvée de Prague au cœur même de l’Europe. Qu’elle demeure cependant fidèle à son identité traditionnelle, incarnée par les multiples tavernes et cafés, prétexte ici à une danse sonore et truculente. Les treize derniers coups de l’œuvre (treize, pas douze !) scandent les coups de crayon portés sur les sous-bocks en carton pour indiquer le nombre de verres consommés de la meilleure bière du monde. Ainsi, la permanence du pivo tchèque prévaudra de manière optimiste sur toutes les tragédies que la ville a vécues, d’autant plus que ses trésors architecturaux ont miraculeusement survécu à toutes les guerres. Peut-être cette petitesse d’esprit (malost), à force de bon sens terre-à-terre, a-t-elle permis cette survie…
Rien n’a encore été dit de la musique de Praharphona sextet, que même l'analyse technique la plus minutieuse ne saurait suffire à évoquer. Car ici nous trouvons de l’invention permanente, de la plus débordante richesse, une infinie variété de sonorités nouvelles obtenues par des moyens purement naturels et artisanaux. Ici, tout est « fait main ». La présence si colorée de la flûte à coulisse, du kazoo ou de l’harmonica, quelques-uns parmi la vingtaine d’instruments mariés par l’unique percussionniste, sont autant d’allusions claires au domaine du folklore universel. Mais si le percussionniste franchit ainsi fréquemment la frontière du bruit la harpe et les cordes, de leur côté, la traversent dans l’autre sens ; du soi-disant « son » au « bruit » à hauteur indéterminée. Ceci nous ramène aux origines même de l’innovation musicale, sous les doigts imaginatifs des vieux ménétriers que l’on trouve encore dans les coins les plus reculés de la planète.
Harry Halbreich